Friedemann Ludwig et la Sonate pour Violoncelle et Piano
La Sonate pour Violoncelle et Piano de Pierre-Octave Ferroud
Texte du violoncelliste allemand Friedemann Ludwig, mai 2021
La sonate en La mineur pour violoncelle et piano de Pierre-Octave Ferroud a suscité en moi une immense joie dès la première lecture de l’œuvre. En résonnance avec de nombreuses œuvres des compositeurs du Groupe des Six que je connaissais depuis longtemps, je tenais là entre mes mains la musique d’un jeune homme qui semblait puiser dans le potentiel des multiples influences musicales de son époque. C’était pétillant, raffiné, plein de vitalité et d’inspirations.
A première vue, la sonate est composée d’après des modèles formels antérieurs (Saint-Saëns) avec trois mouvements Moderato – Lent – Rondo (rapide) dans des modes voisins de La mineur, Fa majeur et La majeur, qui ne laissent pas soupçonner ce grand foisonnement d’idées et de motifs musicaux. On s’étonne du courage avec lequel Ferroud manie des innovations telles les changements de métrique, de rythme ainsi que la polytonalité.
Les difficultés techniques pour le violoncelliste sont maîtrisables, en revanche les exigences en matière de finesse d’expression sont énormes. Les voix sont toujours étroitement entrelacées avec le piano pour former une texture sonore d’un nouveau genre qui sollicite la patience. Le traitement de la matière est tellement surprenant qu’on ne cesse d’être étonné par la tournure que prend la musique par moment.
Dans le premier mouvement domine un geste instrumental ludique, sur le ton enjoué de la causerie. Les changements de rythme qui suggèrent des hésitations sont très divertissants. Des échos du monde exotique du jazz ou des gitans font irruption dans le langage musical de Ferroud.
Le deuxième mouvement décrit une pastorale en Fa mineur qui, avec ses lignes étirées, dessine un fort contraste avec le mouvement précédent. Ici, les instruments peuvent chanter, s’attarder, divaguer. Cela sonne doux et rond malgré une mélodie débordante.
Le point culminant est un appassionato au caractère transcendant avant que le mouvement, longuement suspendu, ne se termine.
Le rondo en La majeur offre une folie pétulante, une exubérance incontrôlable. Tout est intensifié : virtuosité, tempo, esprit, gauloiserie et coloris étranges.
De nouvelles indications modernes comme « burlesque » et « cool jazz » sont introduits.
L’harmonie atteint ses limites par la bi- et la polytonalité menaçant de glisser dans l’abstrait mais toujours hautement calculée.
L’auditeur peut perdre le sens de l’orientation, mais c’est là tout le plaisir ! Ceci pourrait d’ailleurs être la devise. Le succès de cette sonate lors de mes récitals conforte cette impression. C’est une cure de vitamine auditive pour les oreilles avec la garantie d’une découverte révélatrice.
Friedemann Ludwig, Mai 2021
