Le groupe

Introduction de Bruno Berenguer

PIERRE-OCTAVE FERROUD ET LA SOCIÉTÉ « TRITON / MUSIQUE CONTEMPORAINE » PAR BRUNO BERENGUER

En marge de ses activités de compositeur et de critique musical, Pierre-Octave Ferroud se lance en 1932 dans l’aventure de Triton, société musicale ayant pour but de « favoriser l’éclosion d’œuvres de musique de chambre » présentées en concerts.

Les statuts de l’association font acte d’innovation en affichant la volonté d’une large diffusion de ses activités au travers, notamment, d’une offre radiophonique. Bénéficiant du cosmopolitisme parisien, Pierre-Octave Ferroud s’engage dans une activité débordante d’échanges internationaux qui le mène à travers toute l’Europe, de Genève à Moscou en passant par Rome, Madrid, Vienne, Salzburg, Budapest, Bucarest, Varsovie, Moscou… et jusqu’à New York et Saint-Louis par le biais d’intermédiaires. Ainsi, Triton contribue autant à la diffusion du répertoire de musique française à l’étranger que des répertoires internationaux en France.

L’impressionnante liste des membres attachés à Triton témoigne des larges perspectives esthétiques de ses actions. En effet, si le Comité d’honneur réunit les noms de Dukas, Ravel, Roussel, Schmitt, Bartók, Casella, Falla, Schönberg, Strauss, Stravinsky, Szymanowski et plus tard Enesco, son Comité actif bénéficie quant à lui du soutien de Milhaud, Ibert, Rivier, Tomasi, Harsanyi, Honegger, Mihalovici, Prokofiev, rejoints très vite par Barraud, Delannoy, Delvincourt, Françaix, Poulenc, Lazăr, Markevitch, Martinu et Pittaluga.

L’éclectisme de la programmation contraste avec les activités vieillissantes de la Société nationale et de la Société Musicale Indépendante, ainsi qu’avec les cercles mondains de La Sérénade. La musique pure est au cœur du projet. Les programmes attestent de la multiplicité des avant-gardes européennes. Néanmoins, se dégage une teinte néo-classique soucieuse de la forme et d’un ancrage dans l’usage du contrepoint et du langage harmonique liés aux maîtres du passé. Ceux-ci resteront présents tout au long des saisons de Triton, représentés par Couperin, Scarlatti, Bach, Haydn, Mozart, Schubert, Glinka, Wolf, Debussy ou encore Fauré qui ouvrira le concert inaugural du 16 décembre 1932 avec L’Horizon chimérique, tel un symbole visionnaire de voyage au long cours à travers la création.

Les activités de Triton se déploient sur 7 saisons, depuis l’automne 1932 jusqu’au printemps 1939. Le nombre de concerts varie de 6 à 11 par an, régulièrement planifiés. Les programmes sont également équilibrés au sein d’une même saison, certains accueillant même des œuvres avec orchestre de chambre. La presse s’en fait largement l’écho. Cependant, si les actions se poursuivent au-delà du décès de Pierre-Octave Ferroud, l’entrée en guerre mettra fin à cette formidable aventure portée par l’enthousiasme, la ténacité et la générosité de son infatigable maître d’œuvre.

Bruno BERENGUER, Juin 2021.

Auteur de travaux sur Pierre-Octave Ferroud, Bruno Bérenguer a assuré la direction artistique d’enregistrements consacrés à Ferroud. Il est aujourd’hui programmateur de concerts à Radio France.

Le manifeste - 1932

« Triton »
Musique contemporaine

Dans le dessein de procurer à l’une des formes les plus hautes de la musique le développement et l’extension qui correspondent aux nécessités de notre époque, une nouvelle société vient de se fonder à Paris : « TRITON ».
Son but immédiat est de favoriser l’éclosion des œuvres de musique de chambre, en assurant aux meilleures d’entre elles une exécution pertinente et qui touchera un public large et attentif.
Pour répandre son action, elle utilisera toutes les ressources que la technique moderne met à sa disposition, et c’est ainsi que chacun des six concerts qu’elle donnera par saison, salle de l’Ecole Normale de Musique, 78 rue Cardinet, sera radiodiffusé dans le monde entier.
MM. Paul Duka, Maurice Ravel, Albert Roussel, Florent Schmitt, Béla Bartok, Alfredo Casella, Manuel de Falla, Arnold Schönberg, Richard Strauss, Igor Strawinsky et Karol Szymanowski ont accepté de constituer son Comité d’Honneur.
Son Comité Actif, formé de cinq musiciens français et de quatre musiciens étrangers résidant à Paris, réunis en dehors de toute question de tendance, comprend MM. Pierre-Octave Ferroud, Jacques Ibert, Darius Milhaud, Jean Rivier, Henri Tomasi, Tibor Harsànyi, Arthur Honegger, Marcel Mihalovici et Serge Prokofieff.
En marge de ce Comité, des membres correspondants à l’Etranger auront pour mission d’organiser des manifestations d’échange. Les œuvres proposées par le Comité Actif seront donc jouées hors de France, cependant que le public français pourra prendre contact avec un certain nombre d’œuvres qui, sans cette procédure de réciprocité, risqueraient de ne point trouver avant longtemps audience auprès de lui.
La composition des programmes sera arrêtée chaque année avant le 15 octobre.
« TRITON » n’est pas une œuvre de spécialistes ; ce qui ne l’empêchera point – tout au contraire- d’essayer de grouper autour de lui l’ensemble de ceux qui participent à la vie de la musique. Ils y ont leur place et leur rôle : les compositeurs, bien entendu, les interprètes aussi, mais encore les éditeurs qui vouent leur activité à l’art actuel. Et ce serait mal juger l’auditeur éclairé que de ne pas l’associer de plein droit à cette entreprise commune.
Nous espérons que vous voudrez bien, par votre adhésion et votre présence, concourir à cet effort.

Le Comité Actif de « TRITON »

N.B. – Hors du domaine propre de la société, il y a lieu de noter que le Comité Actif de « Triton » a envisagé la possibilité de faire entendre à Paris des œuvres qui, débordant du cadre qui lui est assigné, requièrent des effectifs plus considérables que ceux auxquels il pourrait avoir normalement recours. Il a d’ores et déjà obtenu pour cela, entre autres, la gracieuse collaboration des « Concerts Privés de l’Ecole Normale de Musique » que dirige M. Alfred Cortot, aux soins desquels il confiera les partitions qu’il estimera, parmi celles qui lui seront soumises, susceptibles d’éveiller un réel intérêt.
Les abonnés de « TRITON » auront toute licence d’assister, sur simple présentation de leur carte, aux répétitions générales des « Concerts Privés » aux programmes desquels figureront ces œuvres.
(1932)